lundi 17 décembre 2007

Des visages, des figures (et du couscous)

Il y a trois ans, Abdellatif Kechiche nous avait bluffés avec son Esquive, où l’on suivait les charmants marivaudages de jeunes de banlieues wesh wesh sur fond de création théâtrale. Cette confrontation de langages et ces jeux de l’amour et du hasard avaient conquis public et critique, avant de faire le carton plein aux Césars. C’est dire si son nouveau film était attendu. Et ça valait le coup d’attendre.
La Graine et le Mulet nous plonge dans la communauté immigrée de Sète. Lors de la première partie du film, on suit Slimane, ouvrier de 61 ans fraîchement licencié pour cause de non rentabilité. Personnage mutique et statique, il trouve réconfort auprès de la fille de sa maîtresse, la loquace et pétillante Rym (extraordinaire Hafsia Herzi). Pour l’instant, celle-ci ne fait que passer mais elle rayonne déjà de sa présence. Avant que leur projet ne devienne le cœur de l’intrigue (monter un resto sur un vieux bateau), le film prendra son temps pour nous présenter les personnages (la famille de Slimane et autres pièces rapportées), notamment lors d’un traditionnel dîner autour du fameux couscous au mulet, future spécialité du restaurant… Le réalisme des acteurs et des situations est tel que tout artifice cinématographique arrive presque à se faire oublier. On se croirait dans un documentaire. Pourtant, il y a quelque chose de pleinement cinématographique quand la caméra se plonge dans tous ses visages, quand on voit la fluidité du découpage… Un visage qui rit, un autre qui se lèche les doigts, un autre qui souffre en silence, un regard amoureux par-ci, un enfant aux yeux ébahis par là.
Le ventre du film se fait plus elliptique. Et la machine ne s’arrêtera pas, car l’aventure (monter une entreprise de restauration n’est pas une mince affaire) sera semée d’obstacles, de négociations, de confrontations, de conflits interpersonnels. Jusqu’à cette dernière demi-heure, qui nous plonge dans un suspense aussi banal qu’insoutenable, où il sera question de solidarité et de fatalité, de bêtise et d’espoir, de ventres et de couscous, de course contre le temps.
Le temps, cinématographique celui-là, Abdellatif Kechiche le maîtrise parfaitement. Souvent construites autour des visages et des regards, les scènes jouent sur la durée, utilisant le temps qu’il faudra pour nous faire ressentir tel sentiment, nous faire vivre tel confrontation, nous faire entendre telles paroles. Cette proximité auprès des personnages, c’est un pas plus loin dans la mise en scène du "vrai". Et, comme dans la vraie vie, le temps passe vite. Quand après 2h30 vient le générique de fin, on ne veut pas que ça s’arrête, on en redemande, on ne veut plus quitter Rym, Slimane, Karima, Olfa et les autres. Reste alors comme un regret de ne pas avoir pu leur dire au revoir. Un espoir de les retrouver un jour.
On en ressort bouleversé par cette tranche de vie qui regorge d’humanité, essouflé par la vitalité volcanique dégagée par le film. Solaire, prenant et terriblement attachant, Le Graine et le Mulet est un des meilleurs films de l’année. Rendez-vous en février pour les César.

1 commentaire:

Arnotte a dit…

Pour info, "La Graine et le Mulet" a eu le prix Spécial du Jury cette année à Venise (et la jeune actrice le prix du meilleur espoir), de même que le prix Louis Delluc, qui récompense le meilleur film Français de l'année.